LES SORABES DE ĽEX-R.D.A.
APRÈS LA FIN DU COMMUNISME
La recomposition territoriale du plus petit des peuples slaves
PAR ANDRÉ-LOUIS SANGUIN
Au cœur de la dynamique mouvante des aires linguistiques en Europe, la question des Sorabes, « le plus petit des peuples slaves », s'inscrit dans le cadre de quelques-uns des nouveaux aspects fascinants de la géographie politique de l'Europe postcommuniste que sont, d'une part, la nouvelle frontière orientale de l'Union européenne et, d'autre part, le fabuleux processus territorial de la réunification allemande assorti d'une renaissance ethnolinguistique après la fin du communisme (Foucher 1993). De fait, à la faveur de l'intégration des territoires de l'ex-R.D.A. à l'Allemagne fédérale, l'Union européenne abrite désormais en son sein son premier peuple slave : les Sorabes.
Une langue n'est pas seulement un moyen de communication. Elle a une fonction expressive identitaire. Or, toute communauté ethno-linguistique se retrouve et se fédère sur sa langue. Mais, bien plus, toute langue a une connotation géographique puisqu'elle est une façon de penser et de sentir l'espace (Sanguin 1993). Aborder un petit peuple slave en recomposition territoriale après la fin du communisme signifie aussi soulever une double dimension spatiale, celle du rapport dominant/dominé et celle du rapport centre/périphérie (Sanguin 1992).
De même, aborder un thème ethnopolitique comme celui des Sorabes, c'est se confronter à un phénomène hautement cartographique car toute frontière linguistique, et notamment celle d'une minorité ethnique, est faite de ruptures, de seuils, d'avancées, de reculs, d'enclaves, de têtes de pont et de résidus (Breton 1995). Dans ce qui fut la R.D.A., la libération des peurs collectives, le pluralisme démocratique et la souplesse fédérale des Länder ont permis la réémergence d'une slavité minoritaire originale (Scholze 1993).
1. L'Ostsiedlung... ou l'allemand, tombeau des langues slaves
La magistrale étude posthume de Jacques Ancel (1882-1943) et le livre récent de Claude Hagège, professeur au Collège de France, ont montré, chacun à leur manière, qu'un grand procès territorial multiséculaire a toujours existé entre Slaves et Germains (Ancel 1947, Hagège 1994). Ce procès, c'est l'histoire d'un mouvement de balancier Est-Ouest / Ouest-Est en Europe médiane. En clair, aux Vlle-VIIIe siècles, eut lieu une poussée des peuples et des langues slaves vers
Rev. Étud. slaves, Paris, LXVIII/1, 1996, p. 55-68.